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11 décembre 2009 5 11 /12 /décembre /2009 13:05


Avec le bombardement d'Hiroshima et de Nagasaki, la seconde guerre mondiale s'achève et donne aux Américains l'impression trompeuse qu'ils sont pour longtemps les seuls détenteurs de la puissance atomique. Le sentiment qui domine est résumé par cette déclaration du président Truman lorsqu'il annonce le 7 août 1945 l'emploi de la bombe. "Nous avons mis au point la bombe et nous nous en sommes servis. Nous nous en sommes servis contre ceux qui nous ont attaqués sans avertissement à Pearl Harbor, contre ceux qui ont affamé, battu et exécuté des prisonniers de guerre américains, contre ceux qui ont renoncé à obéir aux lois de la guerre. Nous avons utilisé [l'arme atomique] pour raccourcir l'agonie de la guerre, pour sauver des milliers et des milliers de vies de jeunes Américains."


Désormais la bombe atomique devient une pièce maîtresse de l'arsenal de guerre américain. Mais il faut encore l'améliorer pour la rendre plus facile à produire et plus efficace. C'est pourquoi malgré la fin de la guerre, les recherches reprennent très vite. Dans les déserts de l'Ouest américain mais aussi sur l'île de Bikini dans le Pacifique.

 763px-Crossroads_baker_explosion.jpg

 

Sur cete photo nous pouvons voir une explosion sous marine en 1946, sur l'île de Bikini, une possession américaine dans les îles Marshall.  De vieux bateaux de guerre sont disposés pour mesurer son efficacité. Pour pouvoir procéder aux tests, la population de l'île avait été évacuée à 200 km de là.  Le nom Bikini qui fait alors l'actualité sera repris par un fabriquant français pour lancer un maillot de bain minuscule qui fera scandale et aura par là même un succés énorme... Mais ces essais auront des conséquences à long terme, la radioactivité est telle que l'atoll sera, après deux tests, iradié pour toujours et ses habitants ne pourront jamais s'y réinstaller.  Une vingtaine d'essais y seront menés jusqu'en 1958. Les retombées radioactives de certains d'entre-eux iront même contaminer les archipels avoisinants.

Au passage, il faudra attendre les années 60 pour que l'on prenne conscience du danger radioactif des essais à répétition et que l'on arrête les tirs aériens. De nombreux soldats et techniciens sont ainsi contaminés dans les centres nucléaires du monde entier. Des "points zéro" pas toujours si isolés que cela : c'est ainsi que des touristes viennent dans les années 50 à Las Vegas pour admirer les champignons atomiques du centre de Yucca Flats à une centaine de kilométres de la ville du jeu. Les cancers de la thyroïde parmi les personnels ayant travaillé sur ces sites et liés aux radiations se chiffrent probablement en dizaines de milliers. L'administration américaine n'a reconnu sa responsabilité dans ces maladies que très récemment et avec réticence.


 



L'arme nucléaire est aussi une arme diplomatique, un moyen de faire pression sur l'Union Soviétique, l'ancien allié devenu désormais un concurrent puis à partir de 1947 un ennemi. Les experts américains sont à peu près tous persuadés que les Soviétiques, ruinés par la guerre et souvent caricaturés dans l'opinion occidentale comme étant des paysans incultes, sont incapables d'accéder au feu nucléaire rapidement. 

 

Ils se trompent lourdement, d'abord parce que l'URSS dispose aussi de physiciens et de mathématiciens de premier ordre. Mais aussi parce que les services d'espionnage soviétiques ont depuis la guerre infiltré les centres de recherches américains et n'ignorent rien des travaux sur l'arme atomique. Staline était au courant du projet Manhattan avant le vice-président Truman tenu dans le secret du temps du président Roosevelt.
 

Les Soviétiques partent cependant avec un certain retard dans la course atomique, en effet la physique, trop théorique, n'était pas une priorité dans l'URSS des années 30 qui cherchait d'abord à se moderniser et l'a longtemps délaissée face à l'agronomie, la chimie ou l'électricité. Mais avec la guerre et la naissance de la bombe américaine, Staline change son fusil d'épaule et débloque d'énormes moyens pour la recherche nucléaire  qui devient la priorité des priorités. Les physiciens Igor Koutchatov et Andrei Sakharov mettent au point un programme de recherche en un temps record. Des villes secrétes sont construites pour abriter les recherches et exploiter l'uranium. Il faut faire vite pour combler ce retard qui met l'URSS sous la menace américaine. Heureusement pour eux, les services secrets militaires vont leur donner un bon coup de pouce.
 

B54.jpg

Les Soviétiques disposent notamment d'un personnage méconnu mais qui a probablement été l'un des plus grands espions du XXème siècle: Klaus Fuchs. Ce physicien allemand a fuit le nazisme dans les années 30 et s'est réfugié en Grande Bretagne puis aux Etats-Unis où il est intégré au programme Manhattan. Mais c'est aussi un communiste fervent qui est recruté par les services secrets soviétiques en 1941. Fuchs, s'il n'a accès au départ qu'à des informations secondaires sur le programme atomique, ne tarde pas à développer un réseau d'amis qui lui fournit des renseignements importants sur l'état des recherches. En effet, beaucoup de physiciens recrutés pour le projet n'ont jamais caché leur sympathies à gauche, voir même pour le communisme. Mais dans l'urgence de la guerre et face à l'ennemi commun nazi, les autorités américaines ont recruté sans trop se soucier de ce problème.
 

Fuchs joue sur ces sympathies pour rallier des savants à sa cause. Même s'ils ne sont pas forcément communistes, de nombreux physiciens sont sensibles à l'argumentaire développé par les pro-soviétiques: si les Américains sont les seuls à posséder la bombe, ils peuvent être tentés de l'utiliser. Si l'URSS  l'a aussi, c'est l'équilibre et l'assurance de ne plus voir de nouvelle guerre éclater. Fuchs n'est d'ailleurs pas le seul espion infiltré dans le programme nucléaire, d'autres réseaux ont existé et certains n'ont jamais été découverts. Mais c'est celui qui obtiendra les résultats les plus importants. C'est ainsi que l'Union Soviétique abreuvée aux meilleures sources peut piller une partie de la technologie atomique américaine. 

Le 23 septembre 1949, les Soviétiques procédent à leur premier essai atomique "Pervaya Molniya/ Premier éclair"  à Semipalatinsk dans le Kazhakstan.

Aux Etats-Unis c'est le choc, d'autant que les services secrets mettent à jour l'existence du réseau Fuchs qui est arrété en Angleterre et fera neuf ans de prison avant d'être expulsé pour l'Allemagne de l'Est. Il a été confondu grace à des transfuges qui ont fuit l'Union Soviétique. Dans la foulée les Américains arrêtent un certain nombre de savants atomistes qui ont fourni des informations à l'ennemi. C'est l'affaire Rosenberg, un couple de savants américains accusés d'avoir trahi pour l'Union Soviétique, jugés et condamnés à mort et, dans le même temps la montée d'un anti communisme déchaîné autour du maccarthisme. La presse se déchaîne notamment contre Oppenheimer, l'ancien directeur scientifique qui les avait embauché pendant la guerre, qui voit sa carrière brisée nette.

Si dans les années 40, la bombe atomique restait aux yeux de l'opinion publique occidentale un objet de curiosité scientifique dont l'aspect menaçant demeurait vague, devenant même un sujet de plaisanterie ou de publicité, l'accès de l'URSS à la bombe change la donne.loomis-dean-a-model-atomic-bomb-shelter-for-personal-use
Les années 50 voient désormais apparaître l'idée d'une vraie menace nucléaire pour le monde car les deux adversaires de la guerre froide se sont équipés de l'arme atomique. L'Europe ici  est en première ligne, les Soviétiques ne disposant pas encore d'avions ou de missiles capables de toucher les Etats-Unis en cas de guerre globale. De toute façon ,avec la bombe atomique soviétique, il n'est plus question d'utiliser celle-ci sur le terrain pour les Américains. Le général MacArthur qui avait demandé l'emploi de la bombe contre la Chine pendant la guerre de Corée est limogé par le président Truman qui ne veut pas risquer une riposte soviétique.

O
n voit commencer à fleurir un peu partout les abris anti atomiques. Des caches enterrées où on stocke vivres et équipements pour s'y réfugier en cas d'attaque nucléaire. En Europe, certains états craignant le pire s'équipent en masse.  La Suisse, par exemple, dépense des millions pour faire creuser de quoi abriter toute sa population là où, pendant ce temps, la France ne fait quasiment rien, à part prévoir des replis pour protéger ses dirigeants. Aux Etats-Unis ce sont surtout les particuliers qui se font construire un abri dans le jardin ou sous la maison.

fallout-shelter-handbook-520x372.jpg

                     Construisez votre abri anti atomique vous même ! Le manuel d'époque...

La littérature et le cinéma, notamment de science fiction, s'emballent et prophétisent déjà la fin du monde. Le nucléaire fait peur et les monstres issus de l'atome comme Godzilla, dinosaure géant né des radiations atomiques qui vient ravager le Japon, font s'échauffer les imaginations. Le gouvernement américain lance des campagnes d'informations et des programmes d'entraînement à destination des enfants des écoles qui apprennent le "duck and cover" (litteralement plonger sous la table comme un canard sous l'eau et se couvrir), comme le montre ce film éducatif d'époque.


 




Des scientifiques et des intellectuels commencent à demander l'interdiction mondiale de cette arme. A l'initiative de quelques uns des savants ayant participé aux recherches atomiques dont Robert Oppenheimer ou Frédéric Jolliot-Curie, est lancé "l'appel de Stockholm", un mouvement international pour la paix qui recueille les signatures de 150 millions de personnes dans le monde, dont 3 millions en France, parmi lesquelles on retrouve les noms de Picasso, Aragon, Chagall, Simone Signoret, Yves Montant ou encore les tous jeunes et encore inconnus Jacques Chirac et Lionel Jospin. L'URSS par l'intermédiaire des partis communistes  européens soutient ce mouvement car elle sait que malgré sa bombe, elle est en retard  face aux Américains qu'elle ne peut pour l'instant pas encore atteindre par ses avions ou ses missiles en l'état actuel de la technologie. 
" APPEL
Nous exigeons l'interdiction absolue de l'arme atomique, arme d'épouvante et d'extermination massive des populations.
Nous exigeons l'établissement d'un rigoureux contrôle international pour assurer l'application de cette mesure d'interdiction.
Nous considérons que le gouvernement qui, le premier, utiliserait, contre n'importe quel pays, l'arme atomique, commettrait un crime contre l'humanité et serait à traiter comme criminel de guerre.
Nous appelons tous les hommes de bonne volonté dans le monde à signer cet appel.
Stockholm, 19 mars 1950."
 
Pour les Américains, il n'est plus question de désarmer. Du fait de l'impossibilité pour les Soviétiques de toucher le sol américain, l'atome est la meilleure garantie de défense contre l'immense armée rouge, d'autant qu'ils disposent de bases en Europe et en Asie qui menacent les grandes villes soviétiques. La bombe A (comme Atomique) a été une réussite, mais les savants pensent pouvoir décupler sa puissance. Edward Teller conçoit une bombe thermonucléaire dite bombe H (comme Hydrogène) 1000 fois plus puissante que sa petite soeur qui est expérimentée le 1er novembre 1952. Elle vaporise littérallement l'île d'Eniwetok où elle est testée.
 
Tsar-bomba-icon-440x227.jpg
 Mais l'écart entre les deux pays ne reste pas très longtemps ouvert et les Soviétiques sautent le pas de cette technologie à peine un an plus tard, ce qui semble confirmer que leurs services d'espionnages sont toujours aussi bien implantés dans les labos de l'Ouest. On peut voir sur la photo une réplique de "Vanya" alias "Tsar Bomba/la reine des bombes" le plus gros engin jamais testé : 27 tonnes, 8 mètres, 57 mégatonnes. Lors de l'essai en octobre 61 le champignon de 40 km de diamètre monta jusqu'à 60 km dans le ciel ; la chaleur fut ressentie sur 300 km et la lumière a pu être vue dans un rayon de 1000 km. 
 
Les recherches américaines sont bien évidemment marquées du sceau du secret pour contrer les Soviétiques... mais aussi leurs propres alliés: en 1946, le gouvernement vote l'"Atomic Energy Act"qui interdit de révéler à quiconque la diffusion de secrets nucléaires. Fureur de la Grande Bretagne qui avait mis toutes ses recherches à disposition des Américains pendant la guerre. Le premier ministre Atlee, celui-là même qui avait succédé à Churchill à la conférence de Potsdam, décide que même sans les Américains, le Royaume Uni aura sa bombe. Dans le plus grand secret est lancé l'opération "Hurricane" qui aboutit à un premier essai le 3 octobre 1952 sur la petite île de Monte Bello, à 80 km de l'Australie (alliée de la Grande Bretagne dans le Commonwealth). La Grande Bretagne devient le 3 ème pays à rejoindre le "club nucléaire".  Les Américains voyant qu'ils ne pourront pas empêcher leur allié de développer son arsenal indépendant décident de changer de politique et commencent à échanger des technologies, ce qui permet à Londres d'avoir sa bombe H en 1957. Mais la prolifération nucléaire commence à inquiéter alors que d'autres pays comme la France ou la Chine manifestent aussi  leur volonté de se doter de l'arme atomique.
 
A partir du milieu des années 50, l'Est et l'Ouest accumulent les charges nucléaires. Chacun dispose théoriquement de quoi réduire l'autre en cendres. C'est l'ère de l'équilibre de la terreur. Le nombre de bombes augmente de chaque côté, tout comme leur puissance ainsi que les moyens de les transporter. Les bombardiers gagnent en autonomie et en rayon d'action, des missiles sont mis au point pour frapper une cible à des milliers de kilomètres. Si l'un des deux camps déclenche les hostilités ouvertement, on peut commencer à craindre la destruction de l'humanité.
 
On_No_Account_To_Be_Used.jpg

Caricature américaine des années 50 sur l'équilibre de la terreur. Sur les missiles est inscrit : "Ne doivent en aucun cas être utilisé, l'ennemi pourrait répliquer."





C'est pourquoi lorsqu'en 1961, les Américains découvrent que les Soviétiques sont en train d'installer des rampes de lancement à Cuba, capables de toucher le sol américain, le président Kennedy considère que c'est une atteinte intolérable à la sécurité du pays et menace le président soviétique Khrouchtchev de déclarer la guerre à l'URSS. C'est l'affaire des missiles de Cuba. Une crise qui dure 13 jours et où le monde craint soudain de voir l'holocauste nucléaire débuter. Finalement personne n'ayant rien à gagner d'une confrontation directe, les dirigeants négocient de manière à retirer les missiles sans qu'aucun des deux pays ne perde la face. Le monde passe à deux doigts de la guerre nucléaire tant redoutée. A la Maison Blanche et au Kremlin, on commence à se dire qu'il serait peut-être temps de faire retomber la tension d'un cran. Ce sera le temps du désarmement, la quatrième partie de cette série...  
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commentaires

A
très normal
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P
<br /> Bonjour,<br /> <br /> En cherchant des renseignements sur de Gaulle à mettre sur mon propre site (du même genre que le vôtre, mais pour mes TL, et... pour la philo !), je suis tombé sur celui-ci. Et comme je l'ai trouvé<br /> très intéressant, je m'y suis attardé. Merci, donc, pour cette agréable visite...<br /> P. G.<br /> <br /> <br />
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M
<br /> Merci pour votre commentaire et félicitation aussi pour votre votre site.<br /> <br /> Amicalement<br /> R. Tribouilloy<br /> <br /> <br />