L'Accord de Libre Echange Nord Américain (ou North American Free Trade Exchange) a marqué la naissance d'une zone de libre échange commerciale entre le Canada, les Etats-Unis et le Mexique. Ce traité, signé en 1992 et rentré en vigueur le 1er janvier 1994 devait être le début d'un projet plus vaste visant à créer un large espace commercial sur l' ensemble du continent américain pour concurrencer l'Union Européenne qui à cette époque s'affirmait avec le traité de Maastricht.
Ce traité de libre échange s'inspire d'un accord déjà existant depuis 1989 entre le Canada et les Etats-Unis. Par contre, contrairement aux institutions européennes, il est purement commercial et ne vise aucunement à créer un pouvoir politique ou des lois communes en dehors d'accords marchands. Il s'agit en fait ici de faciliter les échanges et d'éviter les litiges économiques entre les trois pays.
L'article 102 de l'ALENA pose les principes suivants entre les Parties c'est à dire les pays concernés:
" Les objectifs du présent accord,(...) sont les suivants :
a) éliminer les obstacles au commerce des produits et des services entre les territoires des Parties et faciliter le mouvement transfrontalier de ces produits et services;
b) favoriser la concurrence loyale dans la zone de libre-échange;
c) augmenter substantiellement les possibilités d'investissement sur les territoires des Parties;
d) assurer de façon efficace et suffisante la protection et le respect des droits de propriété intellectuelle sur le territoire de chacune des Parties;
e) établir des procédures efficaces pour la mise en oeuvre et l'application du présent accord, pour son administration conjointe et pour le règlement des différends; et
f) créer le cadre d'une coopération trilatérale, régionale et multilatérale plus poussée afin d'accroître et d'élargir les avantages découlant du présent accord. "
Les trois pays membres ont ainsi demantelé leurs barrières économiques au nom du libre échange en supprimant les droits de douanes et en clarifiant et harmonisant leur droit commercial. Par contre, contrairement à l'Europe, la libre circulation ne s'applique qu'aux marchandises, pas aux personnes. S'il n'y a plus de séparation physique entre le Canada et les Etats-Unis qui ont le même niveau de vie, la frontière n'a cessée de se renforcer avec le Mexique, pays du Sud, pour empécher une immigration massive.
De nombreuses entreprises américaines ou canadiennes se sont délocalisées à la frontière mexicaine pour profiter d'une main d'oeuvre bon marché dans ce qu'on appelle les usines "maquiladoras". Des usines de montage destinées au marché des pays riches mais profitant d'ouvriers "latinos" en moyenne sept fois moins chers que leurs homologues "gringos".
La croissance économique a été forte pour toute la région et les trois pays en ont largement profité pour doper leurs échanges. Des échanges qui atteignent 946 milliards de dollars en 2008 soit un triplement depuis 1994. Comme on le voit sur ce graphique des partenaires économiques des Etats-Unis en 2004, le Canada et le Mexique représentent 30% du commerce. Le Mexique lui même a globalement profité de ces emplois nouveaux et de l'afflux d'investissements venus du Nord et a vu son économie s'accroître considérablement. Face à la constitution de grands ensembles économiques, comme l' Union Européenne ou l' ASEAN, c'est aussi le moyen pour les pays américains de ne pas se retrouver isolés dans la compétition économique internationale.
Mais de nombreuses critiques sont aussi venues remettre en cause ce projet. D'abord il n'est qu'économique. On est encore loin de voir la frontière Sud des Etats-Unis s'ouvrir aux flots de migrants qui rêvent de tenter leur chance au delà du Rio Grande (ou Rio Bravo comme on dit au Mexique). On a même vu le mur de séparation à la frontière et les "border patrols" se renforcer. Les camions passent, pas les hommes (en tout cas dans le sens Sud-Nord) comme le chante Lila Downs.
L'enrichissement n'a pas profité à tout le monde que ce soit au Mexique ou aux Etats-Unis et a surtout été bénéfique pour les dirigeants et les actionnaires. On a même vu se créer une compétition aux bas salaires entre les villes mexicaines pour attirer les sociétés du Nord. Les petits paysans et artisans mexicains n'ont pas pu résister à l'arrivée à bas prix des produits agricoles étatsuniens et canadiens et ont été ruinés. Aux Etats-Unis et au Canada, les pertes ont été grandes pour l'emploi industriel, en effet de nombreuses entreprises en ont profité pour se délocaliser au Mexique mettant du monde au chômage. Une question qui revient régulièrement lors des campagnes électorales. L'un des paradoxes de ce système fait qu'au final les Etats-Unis importent plus qu'ils n'exportent du Canada et du Mexique aggravant leur déficit commercial. Mais un déficit apparent car si les produits sont fabriqués au Mexique, ils appartiennent à des entreprises américaines. Dernier reproche majeur de nombreuses entreprises polluantes ont profité d'une législation beaucoup moins contraignante sur les normes anti pollution au Mexique et s'y sont installées pour polluer tranquillement. (image :"Usine américaine. Sur l'affiche : Fête du travail : cette année le pique-nique aura lieu au Mexique où votre boulot est parti")
En fait si globalement l'ALENA a été très positif économiquement, il a aussi amplifié les inégalités sociales au Mexique ainsi que sa dépendance notamment financière auprès des Etats-Unis. Les heurts de la crise de 2008 ont touché par contrecoup l'économie du Mexique qui a vu son chômage bondir.
Dans la foulée, les Etats-Unis ont essayé d'initier la ZLEA (Zone de Libre Echange des Amériques), cette fois ci étendu sur tout le continent de "l'Alaska à la Terre de Feu" selon l'expression du président George H. Bush (le père) au début des années 90. Malgré les appels du pied des Etats-Unis, les autres pays d'Amérique Latine ne sont pas très enthousiastes à l'idée de rejoindre un hypothétique marché commun américain sur le modèle de l'ALENA. Il existe déjà d'autres accords de ce type en Amérique dont le principal, initié par le Brésil et l'Argentine, s'appelle le MERCOSUR, qui vise à une plus grande coopération sur le modèle européen et se méfie des ambitions américaines. La ZLEA qui devait démarrer en 2005 est restée au point mort et se heurte à la méfiance des grands pays d'Amérique du Sud. Un projet mort et enterré a même déclaré le premier ministre canadien Stephen Harper en mai 2009.
Pour compléter :
Le site officiel Alenaaujourd'hui.org produit par les trois pays signataires vante les réussites de cet accord.
Le site officiel du secrétariat de l'ALENA (en trois langues, anglais, espagnol et, Canada oblige, en français.). Intéressant avec notamment de nombreux textes expliquant le fonctionnement de cette association mais un peu aride à parcourir.
Un article du journal proche des altermondialistes "Le Monde Diplomatique" qui dénonce les effets destructeurs de l'ALENA sur les petits paysans mexicains.
Un dossier très riche d'Etienne Augris sur la frontière américano-méxicaine
Sur le Mercosur, le très riche Atlas du Mercosur en ligne qui détaille ce projet dont nous reparlerons ici bientôt.
(Caricature anti ALENA :
Au centre: société américaine qui tient dans ses mains l'ALENA et l'OMC (WTO): "Enfin le libre échange, enfin le libre échange, merci Dieu tout puissant nous avons le libre échange"
A gauche : travailleurs américains : licenciement massifs, disparition des droits des travailleurs"
A droite: travailleurs étrangers: "payes d'esclaves, pas de droits du travail")