A partir de la fin de la seconde guerre mondiale, l'Union Soviétique est présente dans quasiment toute l'Europe de l'Est. Les troupes de l'armée rouge qui ont vaincu le nazisme sont désormais stationnées de la Pologne à la Bulgarie pour faire face à la menace impérialiste américaine. Les gouvernements des pays libérés basculent progressivement dans le communisme. Parfois dans l'enthousiasme, car les communistes bénéficient du prestige né de la lutte contre l'Allemagne nazie. Mais la plupart du temps en prenant le pouvoir par la force ou l'intimidation. Le tout sur fond de culte de la personnalité de Staline.
La rupture avec l'Ouest a lieu officiellement en 1947, lorsque les deux camps énoncent leurs doctrines respectives, Truman contre Jdanov. A l'Est, Staline crée le Kominform, un organisme de coordination et d'échanges entre les nouvelles démocraties populaires auxquels sont associés les partis communiste français et italiens. Dans la réalité c'est pour Moscou le moyen de contrôler étroitement ceux-ci et de dicter ses consignes pour faire face en bloc à l'Occident. Julien Blottière revient en détail sur la création de ce Kominform
Mais Staline doit faire face dans son camp à une volonté d'indépendance plus grande que prévue. De nombreux dirigeants locaux, communistes sincères et convaincus qui ont gagnés leur popularité pendant les années de résistance au nazisme entendent garder une certaine liberté d'initiative dans leur pays et ne veulent pas se contenter de suivre aveuglement les ordres venus de Moscou.
Le clash le plus important à lieu avec Joseph Tito, le dirigeant yougoslave, qui a réussit à chasser les Allemands de son pays sans avoir besoin de l'armée soviétique et qui s'oppose de plus en plus ouvertement à Staline. Pourtant, sur le fond, les deux hommes ont à peu près les mêmes idées, mais la personnalité indépendante et la popularité de Tito ne plait pas à l'orgueilleux "petit père des peuples". En 1948, la rupture est consommée: la Yougoslavie est officiellement exclue du Kominfom et Tito devient un rebelle aux yeux des autorités soviétiques. Désormais, tout dirigeant communiste qui a des velléités d'indépendances se voit accuser de "titisme". C'est à dire une dérive nationaliste et personnelle du communisme dangereuse pour l'unité de la Révolution mondiale. Autant dire un traitre.
Commence alors une série de purges spectaculaires qui, de 1948 à 1953, va frapper quasiment tous les pays d'Europe Orientale. Elle touche bien entendu les adversaires déclarés du marxisme, mais va aussi emporter au passage un certain nombre de dirigeants communistes. Pour Staline, c'est l'occasion d'éliminer tous les leaders communistes un peu trop populaires ou indépendants pour les remplacer par des hommes dévoués, qui devront leur pouvoir à Moscou et qui se monteront dociles. Il poursuit en cela la dérive totalitaire du communiste qu'il avait entamé dans les années 30 en Union Soviétique.
Il va pour ce faire utiliser des méthodes qui ont déjà fait leurs preuves en URSS. En Bulgarie, Roumanie, Pologne, Albanie et Hongrie, les vieux compagnons de routes du communisme sont mis en accusation.
Ainsi Lazlo Rajk en Hongrie, ministre de l'interieur est arrété en 49 et accusé de titisme et de trahison. Après un violent interrogatoire et la promesse de l'acquittement s'il confesse sa faute, il finit par avouer. Il est purement et simplement condamné à mort et pendu. Commence alors dans le pays une vague d'arrestation qui va toucher des milliers de personnes
Même chose en Bulgarie où Traitcho Kostov, premier secretaire du parti et président du conseil des ministres est arrété avec 11 autres personnalités et condamné à mort.
Caricature tchecoslovaque éditée dans les années 50 pour la réhabilitation des accusés
Mais c'est en Tchécoslovaquie, pays où les communistes se sont imposés par la force et où les partis démocratiques étaient bien implantés que la répression va être la plus spectaculaire. Après une vague d'arrestations qui touche les membres de ces partis, l'Eglise et la bougeoisie locale, plusieurs dirigeants du Parti Communiste Tchecoslovaque sont arrétés à leur tour. 14 hauts responsables du parti sont mis en accusation dont Rudolf Slansky (que l'on voit ici sur la photo lors du procès), vétéran des guerres d'Espagne contre Franco dans les années 30 et numéro 2 du Parti communiste, ou Vladimir Clementis, ministre des affaires étrangères. Ils sont accusés de trahison, de titisme et d'être secretement payés par les Etats-Unis et par Israël pour comploter contre le parti communiste. 11 des accusés étant juifs, ils seront au passage accusé de sionisme, les relations entre le jeune état d'Israel et l'URSS étant alors assez mauvaises, ravivant un fond d'antisémitisme en Europe de l'Est .
Après être resté au secret plusieurs semaines, ils subissent des interrogatoires particulièrement brutaux où on cherche à leur faire avouer leur "crimes". Les interrogateurs, généralement des experts soviétiques vétérans des purges staliniennes, sont passés maîtres dans l'art de briser la volonté de leur proies. Jouant sur la torture, la contrainte, la menace envers les proches, mais utilisant aussi les convictions communistes sur le thème, "avouez pour le bien du parti", ils obtiennent des aveux. Lorsque les accusés sont amenés devant un tribunal d'exception, retransmis à la radio, ils sont psychologiquement brisés et confessent leur trahison en se contentant mécaniquement de réciter des réponses apprises par coeur. De toutes façon, au cas où, ces aveux ont déjà été enregistrés sur bande pour pouvoir s'en servir si un accusé se rebellait. Le procès de Prague aboutit à 11 condamnations à mort et 3 emprisonnements à vie. Le président Clement Gottwald, chef du Parti Communiste tchécoslovaque, qui semble t-il à coordonné cette purge est desormais le seul maître à bord... après Staline bien sûr.
Ce genre de purge va aussi toucher les partis communistes occidentaux et notamment le parti communiste français. En effet, celui-ci est après la guerre repris en main par Moscou qui entend imposer Maurice Thorez, fidèle stalinien comme seul autorité dans le parti. C'est ainsi que de grandes figures comme André Marty ou Charles Tillon, héros de la Résistance, députés, membres respectés du Parti sont purement et simplement exclu après un procès interne où ils sont considérés comme des traitres et des "agents de l'impérialisme".
En Union Soviétique même, les purges continuent aussi, ainsi au début des années 50 des medecins juifs sont accusés d'avoir médicalement assassiné pour le compte des "impérialistes" et des "sionistes" plusieurs dirigeants soviétiques dont Jdanov mort en 1948. C'est "le complot des blouses blanches". Le tout sur un fond très net d'antisémitisme. C'est aussi une façon d'atteindre Lavrenti Beria, chef de la sécurité qui est proche de ces medecins et qu'on présente comme le successeur désigné de Staline, ce qui a le don d'enerver "le patron" qui avait pourtant fait de Beria son homme de confiance.
La mort brutale de Staline en 1953 marque la fin de cette vague de procès. (Ironiquement Clement Gottwald, déjà malade, meurt à son tour 9 jours après son protecteur). Beria et surtout Khrouchtchev vont remettre en cause ces pratiques et progressivement permettre une réhabilitation des accusés. Mais dans le fond les pays d'Europe de l'Est ont été épurés et fermement ancrés dans le camp communiste.
Un film tourné en 1970, basé sur les souvenirs d'Arthur London, un des accusés du Procés de Prague, "L'aveu" de Costa-Gavras avec Yves Montand revient sur cet épisode. Devant et derrière la caméra on trouve beaucoup d'anciens communistes déçus par ce qu'est devenue l'URSS et qui dénoncent la dérive autoritaire de l'Union Soviétique. Il est tourné au moment où dans les pays de l'Est, on commence à revenir sur ces purges et à progressivement réhabiliter les condamnés.