Mes chers élèves, pendant que vous planchez sur le bac blanc, je peux enfin vous révéler la terrible vérité : vous êtes notés n’importe comment. Vous le soupçonniez depuis longtemps, mais il est temps de tout déballer : les écarts de notes sur une même copie peuvent aller jusqu’à 11 points .
C’est ce que nous annonce en tout cas une étude réalisé par Bruno Suchaut, un chercheur en Sciences de l’Education de l’université de Dijon dans une étude au titre volontairement provocateur : «La loterie des notes au bac» qui après avoir soumis trois copies de Sciences Economiques et Sociales à 66 correcteurs de 2 académies aboutit à des écarts de notes spectaculaires.
Les conclusions d’une telle étude sont sans appel : il faut supprimer la notation, spécificité française passéiste et inégalitaire, mettre des QCM à la place des devoirs notés et au passage supprimer aussi le bac, examen dépassé et surtout coûteux.
Bigre.
En ces temps de réformes en gestation et de rapports d’experts sur l’enseignement, voilà qui va probablement faire beaucoup parler. Déjà le Figaro et Europe 1 en font leurs gros titres. D’autant que la perspective de supprimer le bac est un serpent de mer qui revient régulièrement. Pourtant à y regarder de plus près, cette étude, qui n’est pas très originale ni scientifiquement très solide ( les protocoles de l'expérience ne sont pas clairement expliqués) montre aussi les limites d’un tel raisonnement.
Le rapport complet
D’abord, l’étude menée par Bruno Suchaut n’a pas découvert l’eau chaude. Des dizaines d’études comparables existent déjà, les premières datant des années 30. Elles aboutissent toutes aux mêmes conclusions : les notes peuvent varier selon les correcteurs dans des proportions importantes. Comme Suchaut le révèle lui-même, Cette expérimentation ne fait que confirmer les conclusions bien connues des recherches antérieures sur la question des aléas de la notation. Pourquoi la refaire une fois de plus alors, en enfonçant au passage pas mal de portes ouvertes ? Pour justifier la suppression du bac et de la notation. Des notions très en vogue en ce moment pour ceux qui rèvent de grandes économies budgétaires et de privatisation de l'école.
Le système scolaire français ne s'appuie pas uniquement sur le savoir quantifiable à coup de questions fermées et de QCM, mais sur la formation des élèves au raisonnement, à l’esprit critique, à la curiosité etc… Les matières littéraires et les sciences humaines dépendant de critères forcement subjectifs de compréhension, d’expression et de raisonnement ne peuvent pas reposer uniquement que sur des barèmes rigides. Même les matières scientifiques, obligatoirement plus attachées à des résultats quantifiables et mesurables peuvent être aussi l’objet de contestations liées à l’appréciation de la démonstration. Et puis bonne chance pour noter les arts plastiques avec un QCM ! Et heureusement que pour les non-athlètes, on ne note pas que des résultats chronométrés bruts en EPS mais qu’on tienne aussi compte de la constance de l’effort ou du respect des règles.
De plus à y regarder de près, l’étude montre que sur l'ensemble du groupe-témoin, la variation des notes n’est pas si élevée que cela et que sauf exception spectaculaire ponctuelle la hiérarchie entre les copies est généralement respectée (1 avait été jugée de bon niveau et deux plutôt moyennes). Effectivement, mais on le savait déjà, ce sont surtout les copies moyennes qui posent problème. Une très mauvaise ou une très bonne copie est vite repérée. Ce sont celles qui tournent mollement autour de la moyenne qui peuvent être le plus sujet à l’indulgence ou à la sévérité du correcteur.
Le contrôle continu au bac serait-il la solution. Possible. Toutefois il convient d’être là très prudent car il retire au baccalauréat sa vertu essentielle : l’anonymat. De nombreuses études l’ont montré les notes pendant l’année peuvent être l’objet d’un à priori souvent inconscient de l’enseignant. Ainsi les filles semblent bénéficier d’un regard favorable et les élèves agités mêmes bons, d’une tendance à être légèrement pénalisés. On ne sera plus « saqué » au bac mais « catalogué » pendant l’année…
De plus contrairement à ce que l’on croit, vu de l’extérieur, les correcteurs du bac sont surveillés et doivent fournir en cours de correction une moyenne de leurs notes pour éviter toute bizarrerie par rapport aux objectifs officiels. Et puis les consignes sont claires, les taux de réussite doivent tourner à 80 %.
La double correction pourrait être une solution pour rééquilibrer le processus mais elle est économiquement trop chère. C’est la même raison qui explique que les coûteux examens oraux d’histoire en STG aient été remplacés par des épreuves écrites. Supprimer l’examen national du bac c’est faire de sacrées économies. La question financière même si on n’en parle pas trop ouvertement est au cœur des réformes actuelles. Il n’y a plus d’argent dans les caisses alors il faut trouver le moyen de s’en sortir tout en économisant des crédits…
Ce rapport pose la question de fond de la suppression des notes, rendues responsables par leur aspect traumatisant de l’échec supposé de l’école à la française. Soyons clair, je pense que l’aspect souvent contraignant de la notation sur 20 peut être effectivement parfois pesant. Ce système est peut-être mal adapté pour certains élèves. Mais malgré tout, l’école républicaine fonctionne encore relativement bien pour une bonne partie d'entre-eux jusqu’au bac. Beaucoup d’élèves issus de quartiers difficiles continuent toujours à s’en sortir justement grâce aux notations à la française.
Evidemment restent des élèves qui ne s’insèrent pas dans ce moule pédagogique contraignant. Qui s’enferment dans une dynamique d’échec parce qu’ils considèrent qu’à cause des « sales notes », ils ne s’en sortiront jamais. C’est là que doit se porter la priorité de la remédiation, mais ça veut dire, faire des efforts notamment pour payer et de donner de vrais moyens à des professeurs expérimentés qui vont faire « le sale boulot » que personne ne veut faire et qui est généralement laissé aux débutants: les élèves en échec souvent concentrés dans les quartiers difficiles.
Ensuite, si les notes ne sanctionnent plus le travail, comment juger celui-ci. Même si la notation est profondément imparfaite, j’ai tendance à me méfier de cette tentation à la mode qui consiste à vouloir supprimer tout jugement de l’élève par l’équipe pédagogique. La sélection se fait alors plus sournoisement et plus tard. Sur le marché du travail par exemple. Le système privatisé américain ou anglais où la sélection se fait non par le mérite mais par la possibilité financière de rentrer dans telle ou telle école prestigieuse est-elle souhaitable chez nous (même si elle est déjà largement en route dans le supérieur ) ? Les résultats de ces pays en termes d’éducation sont souvent moins brillants que les nôtres.
Les pays asiatiques, eux, Corée et Japon en tête, ont mis en place une éducation basée sur un travail forcené sanctionné non par des notes mais par des concours avec classement. Le résultat final c’est qu’à niveau de classe égal ils trustent les premières places dans les listes de niveau d’aptitude des élèves. Au passage, ils ont aussi la palme du nombre de suicides chez les adolescents…
L’exemple finlandais dont on nous rebat les oreilles, où notes et redoublements ont été supprimés et où l’épanouissement de l’élève a été placé au coeur de l’éducation est bien joli, mais la Finlande, ce n’est pas la France : le pays est globalement homogène, les différences économiques y sont moins marquées que chez nous, l’immigration inexistante et l’esprit civique notamment dans les élites beaucoup plus développé. Le contraire des problèmes que la France, l’Allemagne ou l’Italie, dont les systèmes scolaires sont montrés du doigt, ont à gérer. Ces pays ont des situations sociales et économiques bien différentes pour assurer l’égalité des chances. Et les finlandais eux-mêmes commencent à s’apercevoir que leur système tant vanté a aussi ses ratés.
Certes notre système craque par endroit, mais il reste encore performant. Toutefois nous ne pourrons pas nous passer d’une remise à plat de la finalité même de cet examen national. Mais pour le remplacer par quoi ? Et puis pour quoi faire ? Pourquoi absolument vouloir que tout le monde ait le bac ? Pour avoir 70% d’échec en première année de fac ? Pour avoir une société de surdiplômés qui doivent accepter stages et petits boulots mal payés faute d’avoir le piston pour trouver une place par copinage ? Le taux de recrutement des enfants des classes populaires voire moyennes dans les grandes écoles ne cesse de diminuer. Jamais depuis l'ancien régime le taux de reproduction des élites n'a été aussi élevé. Prochaine étape, supprimons la licence puis le master puis le doctorat. Plus de notes, plus de diplomes, comme cela nous serons tous égaux devant les agences d'intérim.
Dans une société qui ne se donne plus les moyens de mettre en avant ses meilleurs éléments par une vraie méritocracie, c'est l'argent ou les relations qui permettent à chacun de réussir. Doit-on appliquer chez nous la dissolution du bac parce que tout le monde ne réussit pas à l’avoir ? Ou au contraire parce qu'il est devenu si facile que tout le monde l'a ? (parce que cette étude n'en est pas à une contradiction près). Reste encore à proposer quelque chose d'un peu plus construit que des QCM.
En effet, la toute fin de ces recherches nous livre le fond de la pensée du l'universitaire : « Faire le deuil de la notation, renvoie aussi à changer plus globalement la vision de la finalité de l’acte d’enseignement. Un changement en la matière obligerait à revoir totalement les mécanismes de sélection, d’orientation et de certification des élèves, mais aussi au quotidien le regard que porte l’enseignant sur l’élève.» . Vaste programme. Noble dans les intentions mais difficilement applicable dans la réalité. Suchaut reste prudent à ce sujet et élude le problème: si on supprime les notes, que fait-on à la place pour réactualiser ces mécanismes de sélection qui sont, quoi qu'on en dise, incontournables dans notre société moderne ?
Sur ce, je vous souhaite quand même de bonnes notes au bac blanc…