Lorsque les chars soviétiques forcent la frontière afghane le 27 décembre 1979, prétendument pour rétablir l’ordre dans ce pays ravagé par les crises, personne n’est dupe. C’est encore un pion supplémentaire qui bascule dans l’escarcelle soviétique dans le jeu que se livrent les deux grandes puissances. On ne donne pas bien cher de la rébellion dans ce petit pays enclavé d’Asie Centrale, montagneux et désertique. D’ailleurs qui connaît vraiment l’Afghanistan à cette époque. Un pays lointain et inconnu, coincé entre le Moyen Orient et le sous-continent indien, vague destination pour quelques babas cool à la recherche de substances illicites.
L'armée rouge dans les montagnes afghane en 83
Pourtant, en apparence victorieuse dans les premiers temps, la puissante armée rouge va connaître une défaite qui va la miner profondément et précipiter la chute de l’Union Soviétique. Un conflit qui, pour les américains qui vont armer et soutenir discrètement la résistance afghane, va devenir le Vietnam soviétique en souvenir de la traumatisante défaite qu’ils ont eux même connu quinze ans plus tôt.
Pour les soviétiques, pourquoi s’intéresser à l’Afghanistan, pays pauvre, quasi féodal et sans grandes ressources ? Situé à la frontière Sud de l’URSS, c’est cependant un objectif stratégique des plus intéressants dans leur volonté d’étendre le communisme dans la région, car il leur permet de se rapprocher à la fois des champs de pétrole du Moyen Orient et des mers chaudes de l’Océan Indien.
Lorsque les soviétiques pénètrent dans le pays celui-ci est secouée par les luttes intestines. La vieille monarchie constitutionnelle s’appuyant sur les chefs de village traditionnels a été renversée par un coup d’état en 1973. Chefs tribaux, démocrates, islamistes et communistes se disputent le pouvoir. L’instabilité règne, assassinats et putsch sanglants se succèdent. En 78, les soviétiques parviennent à installer un régime qui leur est favorable et entament une coopération économique avec l’Afghanistan. Mais ce régime prosoviétique est fragile, contesté et miné par les querelles internes. Fin 79, Leonid Brejnev lassé du désordre, décide d’intervenir militairement pour soutenir le parti communiste afghan menacé. Les parachutistes de l’armée rouge fondent sur Kaboul, la capitale, alors que les chars passent la frontière Nord. Les soviétiques écrasent toute rébellion et liquident physiquement le président en place, jugé trop incontrôlable, pour installer un homme bien à eux, Babrak Kamal, à la tête du pays.
Dans un premier temps cette opération semble être un succès complet, mais rapidement les troupes soviétiques qui contrôlent les villes et les vallées doivent faire face dans les montagnes à une rébellion de plus en plus importante. Ce sont ceux que l'on appellera les moudjahiddins, "les combattants de la guerre sainte" qui reçoivent dans les mois qui suivent des renforts venus de tout le monde musulman un soutien en arme et en argent des américains.
Un groupe de moudjahiddin au début des années 80
En effet, ceux-ci après avoir d'abord hésité, réalisent l'importance de freiner l'expansion soviétique dans la région et surtout de se servir de cette guerre où l'armée rouge est directement impliquée comme un moyen de l'affaiblir. C'est ainsi que se met en place "l'opération Cyclone" une alliance curieuse, où l'on retrouve des nations officiellement ennemies comme les israéliens et les saoudiens pour financer en secret et organiser le recrutement de volontaires pour aller se battre au côté des afghans au nom de la solidarité islamique. Armes et volontaires transitent par les camps de réfugiés situés à la frontière entre l'Afghanistan et le Pakistan.
Environ 35 000 volontaires venus de tous les pays viennent rejoindre les moudjahiddins dont un certain Oussama Ben Laden, jeune et riche saoudien exalté qui va développer un mouvement basé sur la volonté de chasser les soviétiques pour fonder un régime basé sur la lecture la plus radicale qui soit de l'Islam.
Le Pakistan, dictature militaire qui a instauré un islam radical dans son pays et qui compte bien profiter de ce conflit pour étendre sa propre zone d'influence dans la région, favorise dans ce but les groupes fondamentalistes les plus extrémistes comme les futurs talibans. Le Pakistan qui devient le principal allié des Etats-Unis dans cette lutte contre les soviétiques et en profite pour jouer un rôle de plus en plus important en organisant sur le terrain la résistance afghane.
Le fameux misile Stinger, arme qui redonne aux afghans la maîtrise du ciel
On peut s'étonner que les américains laissent faire les pakistanais et arment des islamistes radicaux qui bien des années plus tard les frapperont directement le 11 septembre 2001, mais il faut bien comprendre que dans le cadre de la guerre froide, tout ennemi de l'URSS est un ami potentiel.
Autre particularité, la guerre ne freine pas le trafic de drogue, bien au contraire, de nombreux chef de guerre cultivant le pavot pour financer leurs achats d'arme. L'Afghanistan produit près de 1500 tonnes d'opium par an à cette époque et devient le premier fournisseur mondial d'héroïne. Une place qu'elle occupe toujours de nos jours.
Sur le terrain cette politique d'aide et le courage des combattants afghans commence à porter des coups très durs aux soviétiques, surtout à partir de 1986, lorsque les Moudjahiddins recoivent des missiles anti aériens portables "stingers" capable d'abattre hélicoptères et avions de chasse. Les résistants afghans regagnent progressivement le contrôle des principales régions montagneuses du pays harcelant les troupes soviétiques et les contraignant à se fortifier dans les vallées et dans les villes. En retour les soviétique mènent une répréssion particuliérement dure: bombardements massifs des villages, empoisonnement des puits, usages de gaz de combats et de minages massif (on parle de 20 millions de mines antipersonnelles larguées dans le pays.)
Les moudjahiddins paradent sur les carcasses des hélicos soviétiques
Sur le plan international, l'URSS se voit discrédité. En 1980, les américains boycottent les Jeux Olympiques de Moscou pour protester contre l'invasion soviétique.
De plus, pour les soviétiques la guerre coûte extrémement cher. En hommes bien sûr mais aussi en crédits militaires, entre 2 et 3 milliards de dollars par an alors que les caisses de l'état sont de plus en plus vides et que les magasins manquent de tout. Le mécontentement de la population s'accroit quand elle voit revenir les jeunes soldats dans des cercueils de zinc, 14 000 morts et plus de 75 000 blessés. Malgré les efforts de la propagande, les récits des soldats sur la dureté de la guerre et sur les atrocités commises par l'armée rouge sensée apporter le bonheur communiste au pays augmentent le ressentiment des soviétiques envers leur régime. Le parrallèle avec le Vietnam pour les américains trouve aussi un autre écho avec l'essor du trafic de drogue en URSS souvent alimenté par d'anciens soldats qui se ravitaillent en héroïne en Afghanistan.
Avec l'arrivée de Mikhail Gorbatchev au pouvoir et ses tentatives de rapprochement avec l'Occident, il devient impossible de continuer cette guerre qui s'enlise. En 1988 il commence à négocier une trève avec certains des leaders de la résistance dont le célébre commandant Massoud, un chef de guerre modéré, contre le départ en bon ordre des troupes soviétiques.
Le retrait définitif a lieu le 15 février 1989, l'URSS sort épuisée moralement et financiérement par cette guerre qui est une défaite même si elle ne le reconnait pas. La crédibilité du régime communiste soviétique est terriblement ébranlée et ne s'en remettra pas lorsque le mur de Berlin est abattu, six mois plus tard, sous la pression du mécontentement des populations d'Europe de l'Est.
Le départ des chars soviétiques d'Afghanistan, derrière l'ordre apparent se cache une défaite.
Sur le terrain 1,2 millions d'afghans (dont 80% de civils) sont morts, 6 millions ont fuit dans des camps de réfugiés essentiellement au Pakistan. Dès que les soviétiques sont partis, une guerre civile éclate pour le nouveau pouvoir (et d'abord pour se débarasser des derniers communistes afghans qui contrôle toujours la capitale). Les américains, qui estiment qu'une fois les soviétiques repartis leur tache est terminée se désengage de la région et laissent leurs anciens alliés se débrouiller entre eux. En 96, les taliban (étudiants en arabe) fondamentalistes religieux extremement durs menés par le Mollah Omar et inspirés par Ben Laden vont s'imposer et mettre en place un régime basé sur la Charia, recueil de lois religieuses interprétées à partir du Coran, téléviseurs, cinéma et théâtre sont interdits, les femmes doivent porter la burqa qui les cache de la tête au pied...