J’ai évoqué en cours avec mes TL, la figure d’Alexeï Grigorievitch Stakhanov, symbole de l’ouvrier soviétique repoussant au nom du communisme les limites du travail humain.
Dans les années 30, Alexeï travaille dans les mines de charbon de Kadiyivka dans le bassin du Donbass en Ukraine. Le 31 août 1935, muni de son perforateur (marteau piqueur portatif), il extrait 102 tonnes de combustible lors d’un concours de productivité organisé par les jeunesses communistes ("Komsomols"). Les objectifs à remplir sont alors de 7 tonnes. Et le 9 septembre il double son record extrayant 227 tonnes de houille à la pointe de son perforateur.
Le pouvoir stalinien qui cherche à galvaniser l’enthousiasme des ouvriers dans une période où l’économie va mal, s’empare aussitôt du personnage et entame une gigantesque campagne de promotion où la figure joviale de ce simple ouvrier qui explose littéralement les normes du plan quinquennal est citée comme exemple du nouveau modèle à suivre. Alexeï devient la vedette d’une propagande effrénée. Le pouvoir s’en sert parfaitement dans les années 40-50 en lançant le programme "stakhanovets" ("stakhanoviste" en français) qui doit faire refleurir l’enthousiasme au labeur des travailleurs.
Personnage sympathique, dont le sourire franc est éminemment photogénique, Stakhanov devient l’emblème de l’homme nouveau soviétique tel que le pouvoir l’idéalise. Grand travailleur, mais pas seulement. C’est aussi quelqu’un de cultivé qui lit Dostoievski et qui profite de sa notoriété pour reprendre des études d’ingénieur à l’académie de Moscou dans les années 40. Il devient l’ambassadeur des programmes d’amélioration du cadre de vie des soviétiques, jouant les promoteurs de la modernité avec son perforateur. On le voit exalter les bienfaits de l’hygiène ou de l’électricité dans les régions les plus reculées du pays.
Il fait des tournées d’explication de ses méthodes dans le pays. Des tableaux et des affiches à sa gloire fleurissent dans toutes les usines, les journaux étrangers s’intéressent à lui comme le montre la couverture du magazine américain Times en 1936. L’ouvrier modèle devenu ingénieur, largement décoré, en profite pour faire carrière en devenant directeur des mines où il travaillait et député du soviet suprême. Le 31 août devient officiellement "le jour du mineur soviétique".
Travaillant toujours dans le domaine des mines, il va jouer un rôle réel dans l’amélioration de la productivité en URSS en mettant en avant une rationalisation et un meilleur partage des taches entre les mineurs dans les galeries.
Lorsqu’il meurt en 1977, c’est une légende. La ville de Kadiyivka où s’étaient déroulés ses exploits est rebaptisée Stakhanov (nom qu’elle garde toujours).
En 1985, alors que l'on fête, comme ce timbre le prouve, le cinquantenaire de l'exploit mais que parrallelement l’URSS commence à se lézarder, des témoignages commence à remettre en cause la véracité du record. Stakhanov n’était pas tout seul pour extraire ses 102 tonnes de charbon mais il était accompagné d’une équipe. Les faits auraient été réarrangés, la productivité record aurait été largement enjolivée par une propagande qui se cherchait un héros apte à enthousiasmer la foule des ouvriers soviétiques qui commençaient à être démoralisés par la dureté et le peu de récompense du système économique communiste.
Stakhanov et ses prodigieux résultats ont été longtemps mis en avant par la propagande communiste vers l'Occident pour prouver que son système était le meilleur. Même en France, le terme est resté jusqu’à nos jours et l’on dit fréquemment de quelqu’un qui abat de grosses quantités de travail que c’est un "stakhanoviste". (Un peu comme vous mes chers élèves n’est ce pas ?)

Peinture officielle idéalisant l'exploit de Stakhanov