Contrairement à ce que l’on dit souvent sur l’économie américaine, l’Etat fédéral continue à y jouer un rôle majeur de régulation. Libéraux oui, mais pragmatiques. La loi du marché c’est bien, mais quand il y a un gros problème l’état américain est là pour le régler.
L’affaire de la nationalisation des deux sociétés de créances hypothécaires Freddie Mac et Fannie Mae est là pour le prouver.
La "Federal Home Loan Mortgage Corporation" ("FHLMC", surnommée pour simplifier “Freddie Mac”) et la "Federal National Mortgage Association" ("FNMA" alias “Fannie Mae”) sont deux énormes sociétés de crédit hypothécaires.
En gros, lorsqu’un américain veut acheter une maison, il contracte un prêt à la banque garanti sur la valeur de sa demeure. Celle-ci sera confisquée s’il ne peux pas rembourser (c’est ce qu’on appelle une hypothèque). Ces deux sociétés privées mais garanties par l’état américain, ont pour mission de racheter ces prêts hypothécaires aux banques pour que celles-ci donnent plus facilement leur accord financier aux projets d’achats de maisons et donc en même temps pour faciliter l'essor du marché immobilier aux Etats-Unis.
Freddie et Fannie, institutions financières anciennes et prestigieuses financent ces rachats de prêts en empruntant à leur tour de l’argent aux banques internationales et aux fonds de pensions privés, c'est-à-dire aux sociétés qui jouent en bourse l’argent qui sert à payer les retraites des travailleurs américains.
Tant que les américains remboursent les traites de leurs maisons, tout va bien, les bénéfices sont juteux.
Sauf que depuis quelques années les banques américaines ont proposé des prêts très particuliers, dits évolutifs, aux gens voulant acquérir leurs maisons. Notamment pour ceux qui ont des revenus très bas. Pour simplifier, c’est un prêt dont le taux évolue selon la conjoncture du marché immobilier. S’il va bien, les taux d’intérêt sont bas, s’il va mal, les taux remontent. Ce sont les "subprimes" ou "primes de risques". C’est risqué mais le marché immobilier était florissant depuis de nombreuses années et ce moyen était souvent le seul pour les américains pauvres d’acquérir une maison et eventuellement de partir des quartiers insalubres et dangereux du centre-ville pour aller s’installer dans une petite banlieue tranquille où leurs enfants ne seraient pas à la merci des dealers de crack du coin de la rue. Ces subprimes, les banques les ont vendu à grands renforts d’argumentaires publicitaires séduisants, sachant que Freddie et Fannie allaient garantir ces prêts.
Or le problème c’est que depuis 2001 le marché de l’immobilier n’a cessé de s’effondrer et les emprunteurs se sont retrouvés pris à la gorge, ne pouvant rembourser leurs dettes au risque de se voir expulser de chez eux. Ce qui n’arrange pas non plus les banques, car derrière, plus personne n’a les moyens de racheter les maisons saisies qui leur restent sur les bras.
(source : le journal des finances)
Résultat Freddie Mac et Fannie Mae qui couvrent tout de même la bagatelle de 2000 milliards de dollars de prêts hypothécaires se retrouvent avec 223 milliards de dettes et plus personne ne veut leur prêter de l’argent.
C’est tout le système bancaire américain qui se retrouve ruiné entraînant au passage les banques européennes et asiatiques qui leur ont prêté de l’argent. C’est toute la Triade (mais aussi la Chine, l’Australie et les monarchies pétrolières du Golfe Persique qui investissent énormément aux Etats-Unis) qui risque la faillite en cascade. Tous ceux qui ont prêté de l’argent aux banques américaines perdent gros. La mondialisation des échanges financiers a aussi ses dangers.
D’un autre côté les organismes de crédits américains ont vu leur valeur boursière s’effondrer risquant de les rendre vulnérables à des rachats massifs par des entreprises étrangères (chinoises notamment).
Sans compter bien sûr les millions d’américains qui risquent de se trouver à la rue. Les expulsions se sont multipliées depuis 2007 (jusqu'à plus de 200 000 par mois.) Le spectre de la crise de 1929 est bien là et 80 ans après, cela reste toujours un traumatisme majeur dans l’esprit des américains.
(Un très bon dossier sur cette crise dans le Journal du Net economie)
Le gouvernement Bush, portant réputé ultralibéral a donc fait quelque chose d’exceptionnel pour les Etats-Unis. La nationalisation (provisoire) de Freddie et Fannie avec un apport de 200 milliards de dollars du contribuable pour renflouer les caisses, relancer la confiance du marché, empécher l’expulsion de centaines de milliers d’américains pauvres et éviter que ce soit des fonds étrangers qui s’en emparent et ne prennent le contrôle du marché financier américain.
Les patrons ont été contraints à la démission pour incompétence (vont-ils comme chez nous toucher des primes et des parachutes dorés pour avoir réussi à couler leur boîte ?) et des administrateurs fédéraux vont gérer les deux sociétés. Quand aux actionnaires, on ne leur a pas demandé leur avis. De toute façon vu l’état de la valeur de leurs actions, ils ont plutôt intérêt à ce que l’argent public sauve leurs investissements.
"Il apparait que des gens pauvres avec de mauvais crédits n'ont pas les moyens de s'acheter une maison. Qui pouvait le savoir ?"
Cela montre que comme en Europe, l’Etat américain garde un rôle extrêmement important dans l’économie. Le réalisme avant tout, on ne laisse pas couler un secteur vital d'activité. Ce n’est pas la première fois. Dans les années 70, des grosses sociétés comme Lockeed (aviation) ou Chrysler (automobile) se sont vues renfloué par l’état. Après le 11 septembre 2001 (7 ans déjà...) et l’effondrement du secteur du transport aérien, le gouvernement a soutenu financièrement les compagnies aériennes pour éviter une faillite générale.
De même grâce à l’armée ou à des programme d’investissement comme la NASA, les Etats-Unis savent passer des commandes massives qui vont soutenir les entreprises américaines et aider l’emploi. Ils n’ont jamais non plus hésité à subventionner les exportations de leurs agriculteurs ou à mettre des quotas sur des produits étrangers comme ce fut le cas il y a en 2002 sur les aciers pour protéger leur sidérurgie ou en 2005 sur les textiles pour contrer la Chine.
C’est l’une des forces de l’économie américaine : libéralisme certes, mais avec un état qui sait aussi jouer son rôle de régulateur et qui se donne les moyens de le faire, parce que dégager 200 milliards de dollars de crédit d’un coup, ce n’est pas rien !