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13 mai 2008 2 13 /05 /mai /2008 23:32

Alors que tout le monde se focalise sur l’anniversaire de mai 68, il ne faudrait quand même pas oublier qu’on célèbre aussi en ce moment des événements autrement importants. Le cinquantenaire de la Vème République. On peut être étonné de l’absence d’écho politique ou médiatique autour d’une date pourtant majeure de l’histoire contemporaine. Il faut espérer qu'en septembre, naissance "officielle" de la Vème avec le référendum pour son acceptation par les français, on daignera la féter un peu. Mais bon, le gouvernement actuel est plus occupé à liquider l’héritage gaulliste (indépendance diplomatique et militaire de la France, contrôle fort de l’état sur l’économie, constitution de services publics puissants) qu’à s’en réclamer quand à l’opposition, elle s’est prise d’une passion nouvelle pour la IVème république et son modèle parlementaire après avoir goûté pendant l’ère Mitterrand aux délices d’un pouvoir présidentiel fort.


La presentation de la Vème république à Paris en septembre 58

Il faut aussi bien voir que la Vème République est née dans des conditions très particulières. En effet l’arrivée de de Gaulle au pouvoir se fait dans une atmosphère insurrectionnelle de coup d’état militaire. Un coup d’état où le Général a joué un rôle encore mal éclairci…

Depuis 4 ans la guerre d’Algérie (pardon, les opérations de maintien de l’ordre en Algérie, selon la terminologie officielle de l’époque) empoisonne la quatrième République. De nombreux gouvernements ont été mis en minorité autour de cette question et la population européenne d’Algérie est de plus en plus remontée contre un régime qu’elle soupçonne de vouloir négocier avec les indépendantistes algériens, un vrai sacrilège pour la plupart des pieds noirs.

Les appelés du contingent, c'est-à-dire les jeunes de 18 ans qui font leur service militaire ont été envoyés sur place et doivent faire face en ville à des vagues d'attentats à la bombe et à dans le djebel à de véritables combats meurtriers contre les "fellagahs", les combattants indépendantistes.

En mai 1958, Pierre Pflimlin, député MRP (chrétien-démocrate) de Strasbourg, est pressenti par le président de la République Réné Coty pour la présidence du Conseil. Rappelons qu’à cette époque le président de la République n’a quasiment aucun pouvoir politique et que c’est le président du Conseil (des ministres), c'est-à-dire l’équivalent du Premier Ministre actuel qui dirige l’exécutif et est le vrai patron de la politique gouvernementale. Mais Pflimlin, soupçonné de vouloir négocier un cessez-le-feu avec les rebelles du Front de Libération Nationale est détesté par les pieds noirs les plus revendicatifs, ceux qu’on appelle déjà les "Ultras" de l’Algérie Française.

 

Le 13 mai alors que Pflimlin est investi à Paris, se déroule à Alger une cérémonie en hommage à trois jeunes soldats capturés et exécutés par les rebelles, autour du monument aux morts des Glières, réunissant une foule immense, mêlant pieds noirs et musulmans. Les esprits s’échauffent, des cris fusent. "Algérie Française ! ", " Pflimlin à la mer", "L'Armée au pouvoir". Très vite les manifestants sous la conduite d’une figure charismatique chez les Ultras, Pierre Lagaillarde, brisent les grilles du gouvernement général d’Alger et mettent à sac les lieux. Ils font alliance avec les militaires présents sur place et notamment les officiers parachutistes à qui le gouvernement avait donné carte blanche pour écraser la rébellion indépendantiste, quelqu’en soient les moyens. Un gouvernement de salut public est crée sous la direction du général Jacques Massu, commandant militaire d’Alger et du général Raoul Salan, chef de l’armée en Algérie.

 

 

A Paris c’est l’affolement, l’Algérie vient de vivre un véritable putsch. Malgré des propos fermes, Pflimlin ne convainc personne. Si l’armée suit massivement les putschistes, c’est carrément un coup d’état militaire qui pourrait balayer la République. Voire peut-être même une guerre civile qui se prépare. Dès le 24 mai des troupes aéroportées venues d'Algérie débarquent en Corse et s’emparent des principales mairies sans effusion de sang. Une rumeur enfle, on commence à parler de l’Opération Résurrection : un raid parachutiste sur Paris pour s’emparer des lieux clefs de la capitale. Un homme apparaît alors comme un recours capable de calmer les esprits. Le général de Gaulle.

 

L’unificateur de la Résistance, chef du Gouvernement Provisoire de la République Française à la libération connaît depuis 1946 une traversée du désert. Il a démissionné du poste de président du conseil le 20 janvier 1946, faute d’avoir pu faire voter aux français la constitution dont il rêvait. Celle qui donnerait la prééminence du pouvoir au chef de l’exécutif. La IVème République a été tout le contraire : le règne de l’Assemblée Nationale. Par le jeu des alliances électorales, son parti, le "Rassemblement du Peuple Français", bien que dépassant 20% des suffrages n’est jamais arrivé au pouvoir (tout comme les communistes de l’autre côté du spectre politique). Il s’est retiré dans sa propriété de Colombey-Les-Deux-Eglises en Haute Marne.


Mais ses amis et ses fidèles sont encore très actifs. Ils ont constitué des réseaux influents qui militent depuis le début de la guerre d’Algérie pour le retour du général considéré comme le seul capable de garder l’Algérie française de part son prestige et son statut de militaire. Le 10 mai 58, un éditorial de l’influent journal "l’écho d’Alger" titre
«Je vous en conjure, parlez, parlez vite, mon général...»

 

 

On retrouve d’ailleurs certains de ces gaullistes autour du comité de salut public d’Alger. Massu, ancien résistant,  a toujours proclamé sa fidélité à de Gaulle. Lucien Neuwirth et Léon Delbecque, représentants du général en Algérie, sont présents aux côtés du comité de Salut Public d’ Alger et jouent un rôle aussi discret que capital. Alors que les Ultras sont partisans de radicaliser la révolte, ils préférent à s’appuyer sur les généraux,  qui eux hésitent à rentrer dans une rébellion ouverte face au gouvernement. Le 15 mai Delbecque convainc le général Salan qui s’adresse aux algérois (les habitants d'Alger) depuis le balcon du gouvernement général d’Alger, de terminer son allocution par un «Vive la France, vive l'Algérie française, vive le général de Gaulle !».

 

Le 19 mai, de Gaulle convoque les journalistes pour annoncer qu’il se tient prêt à assumer les pouvoirs de la République. A un journaliste qui s’inquiète de la tournure des événements, il répond « Ai-je jamais attenté aux libertés publiques ? Je les ai rétablies ! Pourquoi voulez-vous qu’à soixante-sept ans, je commence une carrière de dictateur ? ».

 

Il engage des pourparlers avec le président de la République René Coty pour devenir président du Conseil. Mais il y met des conditions : il faudra changer la constitution. Alors que la Corse rallie le putsch et que la rumeur d’une intervention armée sur Paris enfle, de Gaulle négocie son arrivée au pouvoir. La gauche, persuadée que de Gaulle est en train de rééditer une prise de pouvoir comparable à celle de Pétain en 1940 tente d’empêcher l’arrivée du général par une grande manifestation qui reste sans effet.

Caricature de Jean Effel, dessinateur proche du parti communiste présentant le "mariage" de de Gaulle et de Marianne sous la conduite de Massu, entouré par Felix Gaillard et Guy Mollet, leaders des partis du centre, ralliés à la solution gaulliste.

Le 1er juin, de Gaulle est investi par René Coty comme président du conseil. Ce sera le dernier de la quatrième République. Il charge un de ses fidèles, Michel Debré de rédiger une constitution sur mesure qui lui permettra enfin d’exercer le pouvoir exécutif fort qu’il souhaite pour sortir la France de la crise. Puis il se rend le 4 juin en Algérie pour rencontrer les membres du Comité de Salut Public. Restant volontairement flou sur les solutions pour régler la question algérienne, il reçoit le ralliement des militaires. Le Comité de salut Public s’éteindra progressivement, Salan et Massu reprenant leur rôle de commandants en chef de l’armée en Algérie. De Gaulle termine sa visite par un retentissant « Je vous ai compris ! » interprété par les pieds noirs comme la promesse du maintien de l’Algérie Française. En fait le général, qui ne sait pas encore vraiment comment régler ce conflit, s’est contenté de calmer le jeu et de permettre le retour à l’ordre.


De Gaulle à Alger, avec à droite Salan et derrière eux Massu en uniforme de para. Juste derrière Salan, en costume, Leon Delbecque.

En septembre, la nouvelle constitution qui assure la prééminence du pouvoir présidentiel est adoptée en référendum. Dans la foulée, de Gaulle se fait élire en décembre, premier président de la Vème république.

 

La Vème république est donc née dans une atmosphère étrange. Pour beaucoup d’historiens, la prise de pouvoir du Général a été une sorte de « coup d’état démocratique », celui-ci profitant des événements pour s’emparer du pouvoir. Reste une question encore débattue par les historiens. Jusqu’à quel point les gaullistes ont-ils encouragé le putsch pour permettre à leur chef de reprendre le pouvoir. Le ralliement rapide de la Corse (où les gaullistes étaient très bien implantés) et le climat de peur qui régnait à Paris alors que de Gaulle négociait avec Coty sont ils de simples coïncidences ? De Gaulle lui-même a-t-il donné des ordres à Delbecque et Neuwirth pour influencer le comité de Salut Public ou, comme à son habitude, a-t-il simplement laissé faire ses partisans sans se salir personnellement les mains. Autant de questions qui restent encore débattues mais qui peuvent aussi expliquer pourquoi le cinquantenaire de la naissance de cette Vème république se fait dans une telle discrétion…


Pour compléter Mr Augris propose aussi un petit article sur l'évenement avec le renvoi aux vidéos de l'INA (ce qui m'evite d'avoir à le faire ce que j'avais initialement prévu...)

Sources : Mémoires de Jean Lacouture - Histoire Secrete de la Vème République sous la direction de Roger Faligot et Jean Cuisnel - Vie Publique.fr - Herodote.net - CRDP-Reims- Boomer-café

 


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commentaires

B
<br /> Excellent !<br /> <br /> merci du temps passé pour partager...<br /> <br /> <br />
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W
Je prépare le concours commun des IEP de province, qui comprend une épreuve d'histoire.<br /> En plus de cours riches et complets pour préparer le bac, j'ai accès à des infos qui me seront utiles pour l'épreuve complexifiée qu'est ce concours. <br /> ça fait vraiment plaisir d'avoir tout cela en ligne, et gratuit. Un grand merci au créateur pour ce blog qui m'est d'une aide plus que précieuse !
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B
Bravo pour ce bel article.<br /> <br /> J.B.
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M
<br /> Merci !<br /> <br /> <br />