Véritable tournant dans la guerre froide l’affaire des missiles de Cuba fut peut-être le moment où le monde est passé au plus près d’un conflit nucléaire généralisé.
En 1957, à Cuba dans les Caraïbes une révolution d’inspiration socialiste balaye la vieille dictature corrompue de Fulgencio Batista. Fidel Castro, Ernesto « Che » Guevara et leurs guérilleros s’emparent de la capitale La Havane et après avoir tenté en vain d’obtenir un accord avec le gouvernement américain se tournent rapidement vers l’URSS et la Chine.
Fidel Castro et ses companeros au moment de la révolution
Les relations cubano-américaine s’enveniment, d’autant que des milliers de réfugiés anticastristes poussent les Etats-Unis à intervenir sur l’île. Cuba nationalise les propriétés des grandes compagnies américaines, en retour l’Amérique décrète un embargo sur les produits agricoles cubains. La désastreuse tentative de débarquement de cubains anticastristes de « la baie des cochons » soutenus par l’armée américaine creuse davantage fossé entre les deux pays. De simplement révolutionnaire et populiste, le régime castriste devient officiellement communiste.
La présence d’une île communiste à moins de cinquante kilomètres du sud des Etats-Unis est une aubaine inespérée pour l’URSS. Celle-ci est en effet est sous la menace directe des fusées et des bombardiers nucléaires américains stationnés en Europe grâce à l’OTAN, ou en Asie avec l’OTASE. Le territoire même des Etats-Unis est à l’abri de par sa situation géographique. Ils sont trop loin pour être atteint par les missiles ou les avions russes dont le rayon d’action ne dépassent pas 2500 kilomètres.
C’est pourquoi Khrouchtchev négocie un accord secret avec Castro pour l’installation de bases militaires dotées d’armement nucléaires, bombardiers tactiques et missiles SS-4 directement pointés vers les Etats-Unis. Accords secrets… mais pas suffisamment pour que les services de renseignements occidentaux n’aient vent du projet. Les services secrets français notamment, bien implantés à Cuba, fournissent au passage un précieux coup de main en signalant aux américains l’arrivée de soldats soviétiques déguisés en cubains et le début de travaux de terrassements importants dans des bases militaires du pays. Le doute se transforme en certitude lorsque des avions espions américains survolant l’île photographient la création d’aéroports militaires nouveaux et les allées et venues de lourds cargos soviétiques chargés de long cylindres suspects.
Le président Kennedy est prévenu de la situation en urgence et décide de réagir avec force. C’est pour lui une pure trahison de la part de Mr K. qui ne respecte pas les principes de la coexistence pacifique. Il convoque les télévisions et annonce, photo à l’appui que les soviétiques ont installé des bases nucléaires à Cuba et que cela est un acte de guerre pour les Etats-Unis. Ceux-ci riposteront. Et n’hésiterons pas à utiliser la bombe s’il le faut.
Les 2 K. a Vienne en 1961
"... Chacun de ces missiles peut être dirigé sur Washington, sur le canal de Panama, sur Cap Canaveral, sur Mexico ou toute autre ville située dans le sud-est des Etats-Unis, en Amérique Centrale ou dans la région des Caraïbes...
Les années 30 nous ont enseigné une leçon évidente : une conduite agressive, dans la mesure où l'on ne fait rien pour la contrôler ni l'empêcher, mène en fin de compte à la guerre...
J'ai donné des instructions pour que soient prises immédiatement les mesures initiales suivantes :
1.... Une stricte "quarantaine" sera appliquée sur tout l'équipement militaire offensif à destination de Cuba...
2. J'ai donné des ordres pour que l'on établisse une surveillance étroite, permanente, de Cuba, et la mise en place d'un dispositif militaire...
3. Les Etats-Unis auront pour politique de considérer tout lancement d'un engin nucléaire à partir de Cuba contre une nation quelconque du continent américain comme une attaque de l'Union soviétique contre les Etats-Unis, attaque exigeant une riposte sur une grande échelle contre l'Union soviétique...
4. Nous avons demandé ce soir la convocation immédiate de l'organisme de consultation de l'Organisation des Etats américains...
5. Conformément à la charte des Nations Unies, nous demandons ce soir une réunion d'urgence du Conseil de sécurité...
6. Je fais appel à M. Khrouchtchev afin qu'il mette fin à cette menace... Je lui demande d'abandonner cette politique de domination mondiale et de participer à un effort historique en vue de mettre fin à une périlleuse course aux armements et de transformer l'histoire de l'homme..."
Extraits du discours télévisé de J.F. Kennedy, 22 octobre 1962 (Origine Cliotexte : )
Des deux côtés on mobilise. Des manœuvres militaires sont organisées en Floride par l’U.S. Navy alors que de son côté l’Armée Rouge est mise en alerte. Flottes et sous-marins des deux camps se retrouvent face à face au large de Cuba. Le monde entier suit la situation avec épouvante. L’ONU par l’intermédiaire de son secrétaire général le birman U Thant tente une médiation qui n’aboutit pas. La troisième guerre mondiale est imminente.
L'une des photos présentée au public
Mais on continue heureusement à négocier entre la Maison Blanche et le Kremlin. Pas directement car il n’y a pas encore de ligne directe entre les deux lieux de pouvoirs mais par l’intermédiaire des ambassadeurs et des ministres des affaires étrangères qui font la navette entre Kennedy et Khrouchtchev.
Au final les deux hommes malgré les conseils de ceux qui poussent à la guerre (comme Castro qui envoie une lettre en ce sens à Khrouchtchev), préfèrent arriver à un accord qui permet aux deux camps d’éviter la guerre sans perdre la face. L’URSS retire ses fusées, alors que les Etats-Unis s’engagent à ne pas intervenir directement contre Cuba. De plus ils enlèvent des missiles installés en Turquie. L’Union Soviétique sort néanmoins affaiblie de cette affaire, cela contribuera au futur remplacement de Khrouchtchev, deux ans plus tard. Cuba reste jusqu’à nos jours sous un embargo très strict des Etats-Unis.
" D’accord monsieur le président nous sommes prêts à négocier". Daily Mail 1962
Mais on n’est vraiment passé à deux doigts de l’affrontement nucléaire. Les deux dirigeants comprennent qu’ils doivent désormais dialoguer directement pour éviter à l’avenir de frôler à nouveau l’abîme. Une ligne spéciale est posée entre les bureaux des deux chefs d’état : le téléphone rouge (en fait un gros télex gris mais la presse américaine fantasme sur cette ligne directe avec les "rouges" et le nom va rester). Désormais le monde entre dans une phase de détente.
Pour compléter :
Le site du mémorial de Caen propose une musée interactif sur cette crise.
Un reportage d'époque de Radio Canada qui illustre bien la tension palpable.
Enfin pour détailler cela plus en image, un documentaire qui revient sur la crise plus en profondeur. Attention il dure une heure mais il est prenant.