Une semaine et demie s’est déroulée depuis le début des événements du Caucase. En théorie, les armes se sont tues et si l’on en croit les termes du cessez-le-feu négocié par l’Europe, la Russie est en train d’évacuer la Georgie. Dans la réalité, les chars russes continuent à patrouiller dans le Nord du pays et dans les enclaves ossétes, les minorités géorgiennes (près de 40 % de la population tout de même) sont poussées au départ par les milices indépendantistes. Quand à la Georgie, elle se drape dans son statut de victime pour faire oublier la dureté de son intervention initiale en Ossétie.
La première partie de cette étude nous a permis de voir les causes de ce conflit. Le déroulement de celui-ci, encore assez confus, reste sujet à bien des interrogations. En effet, les informations qui nous sont parvenus sont très largement contradictoires et difficilement vérifiables. Il faut avoir en tête que le contrôle de l’information est devenu une arme de plus dans la guerre moderne. Les journalistes et les organisations humanitaires qui tentent d’en savoir plus sur ce qui se passe sur place, sont très soigneusement encadrées par les armées respectives qui ne leur montrent que ce qu’elles veulent bien leur montrer. Les Ossètes font visiter l’hôpital de leur capitale bombardé par les Géorgiens, les Géorgiens montrent les corps des civils tués par les Russes ou les milices ossétes, quand aux Russes, ils montrent leur armée accueillie en libérateurs, distribuant de la nourriture aux civils ossètes.
Ajoutez à cela le fait que bien des interrogations demeurent sur ce qui s’est réellement passé au début de cette crise, où diplomatie parallèle, conseillers militaires, argent du pétrole et services secrets ont été très présents. Peut être sauront nous dans quelques années ce qui a tout déclanché. Certains voient derrière les actions du président Saakachvili la main des américains (qui chercheraient à encercler la Russie via l’OTAN) et des israéliens (qui ont de nombreux conseillers militaires en Géorgie, qui pourrait être une base de départ idéale pour des bombardements sur l’Iran). D’autres voient dans l’intensification des attaques terroristes des indépendantistes ossètes ces derniers mois, l’action des russes pour provoquer une attaque géorgienne qui justifierait une riposte militaire histoire de mettre la main sur les oléoducs locaux. .
Rappelons les principales phases de la crise telle que nous la connaissons aujourd’hui.
Depuis plusieurs mois, la tension ne cesse de croître. En Ossétie du Sud, attentats et échanges de tirs entre rebelles ossètes et forces de l’ordre ont entraîné le refroidissement des relations avec la Russie, dont les troupes de maintien de la paix en Ossétie sont soupçonnées par Tbilissi d’aider les indépendantistes.
Dans les premiers jours d’août, de violents accrochages éclatent entre rebelles ossétes et l’armée géorgienne. Leur déroulement est mal défini mais il y a visiblement quelques dizaines de morts de chaque côté. Le 8, alors que le monde a les yeux tourné vers les J.O. de Pékin, le président Saakachvili ordonne une opération militaire de grande ampleur sur Tskinvali, la capitale osséte. La Russie dénonce immédiatement des bombardements meurtriers et une politique de terreur sur les ossétes qui sont citoyens russes depuis que Moscou leur a accordé des passeports. De plus, elle annonce que des soldats de maintien de la paix russe ont été tués.
La riposte russe est immédiate et une colonne blindée rentre en Ossétie, chasse les troupes géorgiennes et continue dans la foulée sa progression sur le territoire proprement dit de la Géorgie, bombardant les principales infrastructures du pays et organisant un blocus des ports. Russie et Georgie s’accusent mutuellement d’épurations ethniques et de crimes de guerre.
(colonne russe en Georgie : source lemonde.fr)
L’Europe par la voix de Nicolas Sarkozy, président en exercice de l’U.E. présente une médiation pour un cessez-le-feu accepté (mais pas forcément respecté) par les deux partis. Les Etats-Unis après un temps d’hésitation soutiennent leur allié géorgien et somment la Russie de se retirer. Cela reste sans effet et à la tribune de l’ONU les affrontements verbaux entre représentants russes et américains ne sont pas sans rappeler les grandes heures de la guerre froide. La Géorgie annonce qu’elle quitte la Communauté des Etats Indépendants et veut accélerer sa rentrée dans l'OTAN.
A partir du 12, c’est officiellement le cessez-le-feu conformément au plan européen. Mais les russes qui n’ont pas de véritable calendrier de retrait fixé à leurs troupes continuent à occuper le Nord de la Georgie, malgré les menaces de l’OTAN et de l’UE. Les ossétes, mais aussi les abkhases négocient leur rattachement à la Russie en temps que "république associée ".
Voilà où on est à la date du 20 août 2008, gageons que nous ne sommes pas au bout de cette crise.
Pour une chronologie plus précise des événements :
Prisonniers georgiens exhibés par les soldats russes (source : New York Times)
Quelles réalités nouvelles apparaissent à la suite du conflit avec la Georgie. Celle-ci paye son trop grand empressement à s’aligner sur la politique américaine. L’avenir politique de Saakachvili bête noire de Moscou risque de passer par un raidissement autoritaire et ultranationaliste, ce qui est déjà dénoncé par ses opposants. Il est douteux que les Russes restent longtemps en Georgie, en dehors des provinces sécessionnistes. C’est une simple question de prudence pour éviter un danger d’enlisement à l’irakienne mais aussi pour ne pas risquer des sanctions diplomatiques. Ils se contentent de bien montrer leur force et laisseront aux milices ossétes et abkhazes largement armées le soin de faire "le sale boulot".
Il est d’ailleurs à noter que dans cette affaire, le président Medvedev s’est donné une stature d’homme d’état qui lui faisait jusqu'à présent défaut. Vladimir Poutine, même s’il n’est jamais loin, a su se faire discret, tout en gérant sur le terrain la réalité de l’action militaire. Il a laissé le volet international à son poulain. Celui-ci a utilisé les mêmes formules martiales que Poutine du temps de la guerre de Tchétchénie "Vous savez, ce qui différencie les déments des autres personnes, c'est que lorsqu'ils sentent l'odeur du sang, il est très difficile de les arrêter. De sorte qu'il faut recourir à la chirurgie" (parlant de Mikhail Saakachvili). De quoi lui donner un peu d’épaisseur aux yeux de son peuple toujours sensible aux sirènes du nationalisme martial.
La Russie prend d’ailleurs des risques en agitant les nationalismes dans la région. Une fois les Ossétes du Sud dégagés de la tutelle géorgienne qu’est ce qui empêche leurs frères du Nord de demander à leur tour leur indépendance par rapport à la Russie. Et quid de la Tchétchénie mise en ruine depuis quinze ans par la Russie parce qu’elle demande son indépendance ? Et à quand le réveil du Daguestan ? De l’Ingouchie ? De la Kalmoukie etc… etc…
Ce réveil du nationalisme russe ne cesse d’inquiéter les anciens états communistes. Les Pays Baltes ont poussés l’U.E. a condamner vigoureusement la Russie. La Pologne vient de signer en urgence sa participation à un programme d’installation de missile défensif de l’OTAN. L’Ukraine tente de limiter l’action de la marine russe dans la mer Noire. La Russie fait désormais très peur.
Dernier détail, on aurait aussi tort de négliger dans cette affaire les intérêts économiques. Non pas tant en Ossétie qu’en Abkhazie, véritable riviera sur la mer Noire, située à quelques kilomètres de Sotchi, qu’on surnomme parfois la St Tropez russe. C’est là qu’en 2014 auront lieu les prochains Jeux Olympiques d’hiver (car la ville est aussi au pied des stations du Caucase). De très nombreux entrepreneurs russes ont investis pour développer le tourisme dans cette région et la perspective des J.O. fait déjà espérer la création dans toute la province d’une très lucrative "Côte d’Azur" sous contrôle russe.
Une chose est sûre en tout cas, le programme de géo de terminale vient de prendre un coup de vieux d’un seul coup. La Russie n’est plus un état en recomposition, elle est redevenue depuis quelques années une véritable puissance militaire et économique et peut désormais intervenir par la force pour faire valoir ses intérêts.
Des sources intéressantes : Caucaz.com site spécialisé sur cette région. Le blog de Stephane Mantoux, un jeune certifié d'histoire géo passionné des choses militaires qui decortique le conflit au jour le jour.