Bon, suite au planning extrêmement chargé de cette fin d'année où il faut terminer le programme au pas de course couplé à des soucis informatiques, j'ai pris quelques retards sur le blog. Alors fêtons mai... en juin.
Retrouvez le dossier commun autour d'une année 68 pour approfondir cette étude...
Parmi les grandes villes françaises, Grenoble a aussi réagi lors de mai 68. En apparence, la ville est encore sous l’effet des Jeux Olympiques qui l’ont grisée au mois de février. De plus c’est une des rares villes de France à avoir à l’époque un campus « à l’américaine », excentré à St Martin D’Hères loin du centre-ville. La ville est considérée comme un bastion de gauche, un laboratoire social. En 1961, le premier planning familial s’est constitué et fournit dans l’illégalité des médicaments contraceptifs aux femmes qui s’y présentent. Sous l’impulsion de la municipalité d’Hubert Dubedout qui veut faire de la ville une pionnière de la participation des citoyens à la vie de la cité, des comités d’actions sociales se sont créés dans certaines usines pour que les ouvriers puissent participer à la direction des entreprises.
La ville apparaît donc comme calme, pourtant dès mars, des troubles ont commencé à apparaître sur le campus. Les étudiants protestent contre des règlements intérieurs contraignants qui limitent l’accès aux résidences universitaires et surtout établissent des barrières distinctes entre les dortoirs pour filles et ceux pour garçons.
Mais tout cela participe du mouvement de contestation générale de la société conservatrice gaullienne qui commence à gagner le pays. Comme dans beaucoup de villes de province, ce sont les événements parisiens qui mettent le feu aux poudres. Le 6 mai une première manifestation éclate en ville pour soutenir les étudiants parisiens en grève. Une petite répétition qui ne regroupe qu’un millier d’étudiants mais qui se heurte violemment à la police. Les jours qui suivent, le campus s’embrase, les gaz lacrymogènes pleuvent et les étudiants se protégent le visage…avec des serviettes hygiéniques. Le mouvement gagne en ampleur les jours suivants. Les slogans reprennent ceux de la capitale : "Libérez nos camarades", "Adieu Charlot" (en référence au président Charles de Gaulle), "Le pouvoir aux travailleurs". A partir du 11, les facs, à commencer par celle de droit, rejoignent le mouvement.
Les étudiants qui se réunissent place Victor Hugo ou à la fac se politisent mais réclament aussi de meilleures conditions de vie. Davantage de bourses, de logements étudiants, moins de précarité dans leurs conditions de vie. Les groupuscules trotskystes menés par Pierre Broué professeur à l’Institut des Etudes Politiques veulent donner une vraie couleur révolutionnaire au mouvement. Mais les revendications restent floues, on veut certes changer la société mais pour la plupart c’est plus l’enthousiasme de l’action et de la revendication qui prime que la véritable ambition d’une Révolution sur le modèle chinois.
Le campus de Grenoble est le lieu de nombreuses rumeurs, on en parle comme d’un nid de maoïstes, on évoque même la présence d’Alain Geismar, l’un des leaders des manifestations parisiennes, à la fac de St Martin d’ Hères. Cela va donner pendant longtemps à l’université une solide réputation de repère de militants radicaux qui va lui coller à la peau pendant toutes les années 70.
Contrairement à ce qui se passe à Paris, les principaux dirigeants syndicaux et le parti communiste local se déclarent immédiatement solidaires du mouvement et rejoignent dès lors les étudiants. 10 à 15000 personnes manifestent le 13 mai (30 000 selon les organisateurs), la ville est paralysée et rapidement les magasins commencent à souffrir de pénurie. Les ouvriers bloquent les usines, les transports, les approvisionnements. On compte 120000 grévistes dans toute l’Isère
Faute d’approvisionnement, l’essence manque (même si Grenoble avait conservé des stocks importants des Jeux Olympiques), les magasins ne sont plus pourvus. Dans les vallées autour de Grenoble, de plus en plus difficilement approvisionnées, l’inquiétude augmente et beaucoup croient à l’imminence de la guerre civile. Pourtant comme dans le reste de la France la contestation n’aboutit pas. Entre les étudiants exaltés et idéalistes et les ouvriers qui ont des revendications salariales plus terre à terre le courant ne passe pas très bien, ce qui explique que le mouvement va faire long feu. Malgré des réunions enflammées à la Maison de la Culture, la contestation peine à s’organiser véritablement.
Pierre Mendès-France, député de Grenoble, grande figure de la gauche socialiste modérée et ancien président du conseil de la IVème république est à Paris pour soutenir le mouvement national. Charismatique, il pourrait apparaître comme un recours capable de fédérer les contestataires mais ne veut pas prendre la tête d’un mouvement révolutionnaire qui l’inquiète. Cette attitude modérée lui coutera son siège lors des élections législatives qui suivront la dissolution de l'assemblée décidée par de Gaulle après mai 68.
pour respecter l'ordre républicain, renonça
à l'idée de s'allier à des manifestations révolutionnaires.
Avec l’épuisement du mouvement, les gaullistes contre-attaquent. Distribution de tracts, mobilisation au sein du parti, il s’agit de montrer que le gouvernement garde le soutien de la majorité des français. A la fin du mois, alors que de Gaulle annonce son refus de démissionner et sa volonté de restaurer l’autorité de l’Etat, les partisans du général s’organisent : le 1er juin, 13 000 partisans du Général se rassemblent à Grenoble en écho à la grande manifestation parisienne qui réunit un million de personnes venues soutenir de Gaulle sur les Champs Elysées.
La fête est finie, les syndicats, qui ont obtenu des améliorations importantes de salaire lors des accords de Grenelle négociés à Paris, appellent à cesser la lutte. Les occupations d’usines se lèvent début juin tandis que les étudiants inquiets pour leurs examens qui se profilent retournent dans le campus. Grenoble comme l’ensemble du pays, retrouve son calme habituel. Celle-ci, comme beaucoup de villes semble reproduire à son échelle ce qui s'est passé à Paris. Il est à noter que la capitale des Alpes qui depuis la Révolution Française a un long passé de révolte contre le pouvoir va devenir un lieu où les manifestations, notamment étudiantes, seront toujours plus dures et radicales que dans d'autres villes. Le souvenir des grèves lycéennes de 2006 ou celles plus actuelles de ces derniers mois où les heurts avec les forces de l'ordre ont fait des blessés, le montre encore , les révoltes populaires y sont souvent plus dures, voir plus violentes qu'ailleurs.
La ville en juin 68 comme toute la France n’aura pas changé en apparence. Mai 68, en ayant permis à la jeunesse de se révolter contre un ordre devenu pesant, va marquer les esprits et accélérer l'évolution des moeurs et de la société dans les années 70. Majorité à 18 ans, contraception, avortement, liberté des médias, volonté de rompre avec le train-train de la société industrielle, l’influence de cette contestation se prolongera tout au long des années qui suivront...