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21 octobre 2007 7 21 /10 /octobre /2007 23:14

Nous l'avons évoqué avec les L. quand nous avons parlé de la guerre de propagande entre les deux blocs (et pour les S. ne vous inquiétez pas, c'est bientôt). L’affaire Kravchenko (aussi orthographié Kravtchenko) est symptomatique de l’importance de l’arme psychologique et de la propagande lors de la guerre froide. Un peu oubliée de nos jours, elle fut la première dénonciation en règle du système soviétique par un citoyen de l’URSS. Ceux qu’on n'appelait pas encore des dissidents.


2ba5228348a0c722b5d02110.-AA240-.L.jpgVictor Kravchenko est un pur produit du système soviétique. Fils d’ouvrier révolutionnaire, membre du parti communiste, capitaine de l’armée rouge, il est nommé pendant la guerre à l’ambassade soviétique de Washington pour négocier le prêt d’armement américain à l’Union Soviétique en guerre contre l’Allemagne. Pourtant en avril 44, il déserte et demande officiellement l’asile politique aux Etats-Unis.

 
En 1945, il publie un livre qui est un violent réquisitoire contre l’URSS stalinienne « I chose Freedom », dont le titre va rester une formule souvent utilisée pour caractériser les transfuges de l’Est communiste vers l’Ouest capitaliste et démocratique. Il y dénonce le totalitarisme du gouvernement, les absurdités du système communiste et surtout la violence du régime et les goulags, les camps de travail de l'URSS.
 
 
Le livre connaît un succès aux Etats-Unis et dans plusieurs pays alors que les relations entre Etats-Unis et URSS se dégradent. Il finit par être traduit en France en 1947 non sans difficulté tant le sujet parait brûlant pour de nombreux éditeurs.
   
En effet, après la guerre, le Parti Communiste Français officiellement aligné sur celui de l’URSS atteint des scores de plus de 20 % aux élections législatives et jouit d’un prestige immense du fait de son rôle dans la résistance.
   
pic-ASPL-Defector-VictorKravchenko.JPGLe PCF va tenter de jeter le discrédit sur le livre de Kravchenko. Les Lettres françaises, journal littéraire proche du Parti Communiste Français dirigé par le poète Louis Aragon, l'accuse de mensonge et d'être payé par les Etats Unis pour calomnier l’URSS. Le tout à partir de faux documents censés provenir d’un espion américain repenti qui  présente Kravchenko comme un alcoolique vendu à la CIA.
 
 
Celui-ci porte plainte contre le journal pour calomnies et éclate à Paris en 1949 un procès qui voit violemment s’opposer communistes et anticommunistes. Du côté des Lettres Françaises, de prestigieux résistants viennent rappeler le rôle éminent de l’URSS dans la lutte contre les nazis, mais on voit aussi défiler ses anciens collègues soviétiques (dont son ex-femme) pour le dénoncer comme étant un traître et un menteur. Du côté de Kravchenko, ce sont surtout des réfugiés de l’URSS qui viennent parler des camps.
 
 
Mais un témoignage retient surtout l’attention. Celui de Margarete Buber-Neumann, veuve du chef du parti communiste allemand avant la guerre, Heinz Neumann. A l'arrivée des nazis au pouvoir, celui-ci gagne Moscou avec Margarete afin de s'y réfugier. Il est victime en avril 1937 des grandes purges staliniennes et disparait à tout jamais. Margarete Buber-Neumann est arrêtée et livrée à l’Allemagne lors du pacte germano-soviétique où elle est déportée en camp de concentration.
   
Au final, le journal est condamné à des dommages et intérêts mais chaque camp reste sur ses positions même si de nombreux sympathisants communistes voient leurs convictions ébranlées.
 
Kravchenko après cela retombera dans l’anonymat, se lançant dans les affaires tout en continuant à militer contre le communisme. Il se suicida dans une chambre d’hôtel dans des conditions demeurées mystérieuses en 1966. Problèmes affectifs ? Difficultés financières liées à de mauvaises affaires ? Désillusion envers son pays d’adoption qui s’engageait dans la guerre du Vietnam ? On ne le saura jamais, même si son fils a longtemps prétendu qu’il s’agissait en fait d’un assassinat orchestré par les soviétiques…
   
Première dénonciation des crimes staliniens, Kravchenko révéla au monde l’existence du goulag. La réaction fut d’autant plus violente de la part des admirateurs du système communiste que ceux-ci croyaient sincèrement que le régime de l’URSS était un paradis ouvrier.

Claude Morgan rédacteur aux Lettres Française et accusé dans cette affaire resuma cela plusieurs années après en 1979 après dans son livre "Les "don Quichotte" et les autres "
 


"Nous, les communistes, nous ne mettions pas en doute les affirmations des soviétiques, ni celles de notre Parti. Mes déclarations, lors du procès Kravchenko, dans Les Lettres Françaises, le prouvent. Kravchenko était un membre de l'Ambassade soviétique aux Etats-Unis. Il avait "choisi la liberté" et publié un ouvrage violemment antisoviétique. André Ulmann m'apporta sur le personnage un article que je publiai sans signature. Dans cet article Ulmann, sous le nom de Sim Thomas, accusait Kravchenko de mensonge et ajoutait qu'il était ivrogne. André Wurmser écrivit lui aussi un article dans Les Lettres. C'est pourquoi nous fûmes tous les deux les accusés de ce procès. Kravchenko cita un certain nombre de témoins, qui, tous, affirmèrent l'existence des camps de répression, où régnaient des conditions atroces. Je ne le crus point. Les uns étaient des koulaks, les autres des ennemis politiques. Je déclarai que, si je pensais qu'ils disaient vrai, je ne serais pas communiste."

 
Koulaks : paysans aisés chassés de leurs terres par la collectivisation des années 30 et considérés en URSS comme des propriétaires ennemis du peuple.


pic-ASPL-Defector-IChoseJustice.jpg

Kravchenko écrira en 51 un livre "I chose Justice" décrivant son procès qui aura un grand succès dans l'Amérique très anticommuniste du temps.

 

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commentaires

N
<br /> Bonjour, je suis désolée de vous déranger mais votre site m'intéresse beaucoup. Je suis en L1 d'histoire à l'université de Dijon et j'ai un exposé oral sur l'affaire Kravchenko. J'aurai voulu<br /> savoir si il était possible que vous me communiquiez vos sources dans le cadre de mes recherches. Je vous en remercie.<br /> <br /> Je vous remercie par avance; veuillez accepter mes sincères salutations.<br /> <br /> <br />
Répondre
M
<br /> Désolé de ne pas avoir répondu plus tôt. L'article est un peu ancien et se base essentiellement sur une numéro spécial de la revue l'Histoire sur la guerre froide.<br /> <br /> <br />
E
Avez-vous le dossier consacré à l'affaire Kravchenko sur le monde 2.<br /> Il est très intéressant notamment car des articles d'époque sont publiés.
Répondre
M
<br /> Bonsoir, merci pour l'info je vais essayer de retrouver ce dossier du Monde 2.<br /> <br /> <br />